Transition numérique : vers des villes plus durables en Afrique ?

Ville durable : Le numérique offre de nombreuses possibilités pour répondre aux enjeux de durabilité auxquels font face les villes africaines. Développement de la participation citoyenne, optimisation de l’utilisation des ressources, approfondissement de la connaissance des territoires, nouveaux modèles économiques pour les services urbains, sont autant de champs d’action où le numérique peut jouer un rôle en renforçant et accélérant les projets locaux.

L’intérêt pour la démarche de ville durable ou territoire intelligent est grandissant chez les autorités publiques, locales ou nationales sur le continent africain. Ainsi, Smart Africa, qui réunit 27 pays africains souhaitant développer le numérique sur le continent, a fait de la smart city un de ses axes de travail prioritaires.

Les initiatives plaçant le numérique au cœur de la transformation des villes africaines ne sont cependant pas l’apanage des autorités publiques. De nombreux acteurs privés s’appuient sur le numérique pour proposer des solutions aux enjeux urbains auxquels fait face l’Afrique.

Parmi ces acteurs, les startups sont particulièrement dynamiques et créatives mais les aménageurs, opérateurs et investisseurs ne sont pas en reste. Au total, la plateforme Do4africa recense un peu plus de cent cinquante projets sur le continent qui proposent des solutions numériques aux défis urbains.

Ces projets sont portés par des autorités locales ou nationales, par des startups, des grandes entreprises privées, des PME ou parfois directement par la société civile. Ils peuvent cibler une ville en particulier ou avoir vocation à être adaptés et démultipliés à travers le continent.

Il n’existe pas un modèle unique de smart city ou de ville durable africaine

Les démarches Smart Cities ne doivent pas consister à plaquer des modèles préconçus sur n’importe quel territoire mais à développer, à partir d’un socle de technologies numériques, une approche inclusive et collaborative qui valorise les spécificités culturelles, économiques, géographiques de chaque territoire.

L’analyse des projets recensés sur la plateforme Do4africa permet de voir trois grandes tendances se dégager sur le continent africain.

D’abord, pour faire face aux défis environnementaux et sociaux liés à la croissance urbaine rapide du continent, certaines autorités privilégient la construction de villes nouvelles. Dans ce cas, les infrastructures et services numériques sont intégrées dès la phase de conception de ces villes planifiées pour éviter les travers que l’on constate dans de nombreuses métropoles du continent. Ces projets ambitieux et innovants comportent néanmoins le risque d’être déconnectées de la réalité des villes et de ne pas réussir à attirer la population nécessaire pour devenir de véritables espaces urbains.

D’autres projets ont davantage pour objectif d’insuffler une composante digitale à un service urbain bien défini, par exemple  les transports, l’énergie ou la gestion des déchets. Ces projets n’ont pas vocation à répondre de façon holistique à l’ensemble des défis auxquels peut faire face une ville, mais à apporter une solution à un problème sectoriel. Parmi les initiatives référencées sur la plateforme Do4africa, on constate qu’au-delà de la diversité des secteurs impactés, on retrouve fréquemment la volonté de répondre à l’une des caractéristiques premières des villes africaines : l’informalité.

Enfin une troisième catégorie de projets vise à transformer graduellement des villes déjà anciennes en Smart City en proposant des plans multisectoriels.

Les Smart Cities sorties de terre, quelles ambitions ?

Plusieurs pays africains portent des projets de villes nouvelles où le numérique occupe une place prépondérante. Au Sénégal, la ville de Diamniadio est en cours de construction à 40 kilomètres de Dakar.

La capitale du Sénégal située sur la presqu'île du Cap-Vert est tellement engorgée, qu’elle est devenue, en ce qui concerne la qualité de l’air,  la deuxième ville la plus polluée au monde selon l’Organisation Mondiale de la Santé. En créant, une ville à quelques dizaines de kilomètres de la capitale, les autorités sénégalaises souhaitent proposer un pôle urbain concurrent et ainsi rediriger une partie des flux.

Pour atteindre cet objectif, l’Etat sénégalais envisage d’une part, de délocaliser plusieurs ministères vers la ville nouvelle et d’autre part, de créer un écosystème économique dynamique reposant notamment sur des entreprises du secteur numérique. Cependant, pour attirer ces entreprises, il est nécessaire que la ville nouvelle soit suffisamment pourvue en infrastructures numériques. Le Parc des Technologies Numériques (PTN) de Diamniadio, dont le datacenter constitue l’un des éléments le plus saillants,  répondra à terme à ce besoin.

On retrouve les deux objectifs principaux de Diamniadio – dynamiser le secteur numérique national et désengorger des métropoles existantes- dans d’autres différents projets de smart city en Afrique. Ainsi c’est le premier objectif que vise Sèmè City, une cité-campus de 100 hectares en construction au Bénin, à la frontière avec le Nigéria.

Basée sur un triptyque alliant formation, recherche et entrepreneuriat, la ville doit permettre l’éclosion de nouveaux modèles de croissance inclusive et durable fondés sur l’ « Innovation Made In Africa ». En Egypte cette fois-ci, l’objectif est de désengorger le Caire, qui compte près de 23 millions d’habitants, en construisant une nouvelle capitale administrative à 45 kilomètres de la capitale actuelle. L’ambition est de créer une ville à la fois intelligente et verte en plein désert.

Cependant, si les projets de Smart Cities bâties de zéro marquent l’imaginaire collectif, ils restent rares et l’essentiel des projets que nous avons identifiés cherchent à transformer les espaces urbains déjà existants.

Le numérique, une réponse aux informalités des villes africaines

Dans les villes africaines, l’informalité est pluridimensionnelle. Il y a d’abord une urbanisation informelle par laquelle on désigne un processus d’étalement urbain en dehors de toute planification.

Cela se traduit par l’éclosion de quartiers qui ne disposent pas des infrastructures nécessaires à la vie urbaine. Ces quartiers ne sont pas ou mal desservis par les différents réseaux – eau, transport, énergie – qui parcourent la ville. Par ailleurs, ils sont souvent méconnus par les autorités locales qui disposent de peu de données cartographiques à leur sujet.

Par informalité, on désigne aussi l’ensemble des activités économiques menées par des entreprises non enregistrées auprès des autorités. Commerce et transport public sont deux secteurs où l’informalité est prépondérante. Pour l’un comme pour l’autre de ces deux types d’informalités, le numérique offre différents outils et services permettant de répondre aux défis particuliers qu’ils engendrent.

L’obsolescence des cadastres en Afrique, qui va de pair avec l’urbanisation informelle, est souvent le terreau de conflit entre les différentes personnes qui s’estiment propriétaires ou locataires légitimes d’un même terrain.

Au Ghana, la startup BenBen, créée en 2014, propose une solution digitale pour renforcer la sécurité foncière. Elle s’appuie sur la blockchain pour garantir la véracité et la traçabilité des informations contenues sur sa plateforme digitale d’information foncière. L’urbanisation informelle se traduit souvent par une absence de raccordement aux réseaux urbains. Plusieurs startups proposent des dispositifs pour combler ce manque.

En Afrique du Sud, le projet iShack vise à fournir de l’électricité solaire off-grid aux habitants des quartiers informels. Chaque client reçoit un équipement solaire individuel produisant assez d’énergie pour éclairer et recharger des équipements tels que des smartphones ou des radios.

Le numérique permet aussi de nouvelles formes de paiement des services urbains essentiels. La startup française CityTaps propose au Niger une solution qui permet de répondre aux besoins des opérateurs d’eau comme à ceux des abonnés. Grâce à un compteur d’eau intelligent et au paiement mobile, les abonnés peuvent prépayer leur eau distribuée par l’opérateur d’eau officiel de la ville, plutôt que de s’approvisionner auprès de sources alternatives souvent plus chères et de moins bonne qualité. Pour l’opérateur d’eau, ce système permet d’optimiser ses fonds de roulement et ainsi de disposer des fonds nécessaires pour investir dans des infrastructures pour couvrir de nouveaux quartiers.

Dans les villes africaines, l’économie informelle occupe aussi une place prépondérante dans le transport public. Alors que les compagnies de transport public officielles, soutenues par la puissance publique, peinent à couvrir les villes, une multitude d’acteurs informels répond aux besoins des citadins.

Au Kenya, ce sont les Matatus, des minibus privés, qui sont le plus utilisés par la population. Si les clients acquièrent au fil du temps une connaissance assez précise des itinéraires qu’ils ont l’habitude d’emprunter, il n’existe pas de plan du réseau qui centraliserait les parcours proposés par l’ensemble des opérateurs.

Pour combler ce déficit d’information, le programme Digital Matatus, issu d’une collaboration entre le MIT et les universités de Nairobi et de Columbia s’est donné pour objectif de cartographier le réseau de transport informel pour faciliter son utilisation. Digital Matatus s’appuie sur les contributions des usagers des minibus, dans une démarche de crowdsourcing, pour récolter des données sur les transports. A partir de leur smartphone, les usagers géolocalisent les lignes de transport qu’ils empruntent et enregistrent les horaires de minibus. Les outils numériques permettent ainsi aux autorités publiques d’acquérir une meilleure connaissance des activités économiques informelles.

Dans le secteur du commerce, cela peut permettre aux autorités d’améliorer le recouvrement des taxes, enjeu essentiel pour que les municipalités puissent financer des projets urbains.

Accompagner la transformation numérique des villes

La plateforme Do4africa recense aussi des démarches portées par des autorités publiques à travers le continent pour encadrer ou accélérer la transformation numérique holistique de villes déjà anciennes. Il s’agit par exemples du projet de Smart Ndar City, qui vise à transformer Saint Louis au Sénégal ou de celui d’Alger Smart City, qui ambitionne de faire de la capitale algérienne une ville intelligente.

Ces projets se caractérisent par leur volonté de tirer profit de toutes les forces vives des territoires, qu’ils s’agissent d’acteurs privés ou publics. Ainsi le projet Smart Ndar City s’appuie sur l’expertise du Centre d’excellence en mathématiques, informatique et TIC (CEA-MITIC) hébergé par l’Université Gaston Berger de Saint Louis. Ce consortium regroupe des établissements universitaires, des institutions de recherches et des entreprises du secteur des TIC.

La particularité de Smart Ndar City est  d’être une composante d’une stratégie plus large Saint-Louis Numérique 2025 qui couvre les trois départements de la région administrative de Saint Louis. La réflexion sur la transformation numérique du territoire a donc été pensée pour articuler les problématiques de la ville de Saint Louis à celles des espaces ruraux et villes secondaires qui constituent la région.

En Algérie, la Wilaya d’Alger a lancé en 2017 un appel à collaboration à destination du secteur privé pour réaliser son ambition de transformer la ville grâce à la donnée. Multisectoriel, l’appel s’adressait à l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur de la Smart City (startups, grands groupes, cabinets de conseils, fournisseurs de solutions…). Les villes durables et les grands chantiers de transformation qu’elles engendrent peuvent ainsi constituer des opportunités pour les écosystèmes d’innovation locaux ou continentaux.

Conclusion

Pour conclure cet article, on peut dégager quelques recommandations issues de l’observation des initiatives urbaines et numériques qui sont mis en œuvre sur le continent africain. Même si la vitalité des startups africaines et leur potentiel d’innovation ne sont plus à démontrer, il reste nécessaire pour les autorités publiques de poser un cadre pour planifier la transformation numérique des espaces urbains. Cela passe par l’élaboration de schémas directeurs à l’échelle des métropoles, des régions ou des pays.

Dans ces schémas, une attention particulière doit être portée à l’interdépendance entre la ville et les espaces ruraux qui les environnent. Si une approche transversale est souvent louée, on constate sur le terrain qu’il vaut mieux d’abord se limiter à quelques verticales métiers lors de l’élaboration d’un schéma directeur Smart City.

Cela permet de mobiliser plus facilement les ressources humaines et financières. Enfin, la question des infrastructures ne doit pas être négligée car sans elles les solutions digitales ne peuvent exister. Ainsi il s’avère nécessaire d’intégrer les infrastructures numériques dès le début des projets d’aménagement. Il ne s’agit pas de se limiter aux simples réseaux mais de penser aussi le stockage des données pour éviter de dépendre de datacenters étrangers.

Ces infrastructures numériques ne constituent pas une finalité mais elles sont le  socle sur lequel pourra se bâtir un ensemble de réponses digitales aux enjeux urbains africains.

Tactis - Bernard Binagwaho - Directeur Afrique

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Directeur Afrique
Bernard est responsable du développement de Tactis en Afrique, et plus particulièrement en Afrique subsaharienne, via la création de la filiale à Kigali au Rwanda.


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Tactis, via son président Stéphane Lelux, préside le Groupe de Travail international du Comité Stratégique de Filière des  infrastructures du Numérique.

A ce titre, Tactis impulse avec la FNAU / PFVD une démarche "Ville durable numérique" avec le soutien du Team France Export (Ministere de l'Europe et des Affaires Etrangeres, DG Tresor, DGE, Business France, AFD, BPI France ...) et l animation de Gerard Wolf, conseiller de Jean-Yves le Drian (Ministre de l'Europe et des Affaires Etrangères).
 

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