Mayotte : l'enjeu du désenclavement insulaire

Coup de projecteur sur les experts qui œuvrent à la transformation et au développement numérique à l’échelle territoriale. Cette semaine, Tactis a souhaité recueillir le témoignage de Faouzat M'Li, Directrice des systèmes d’information, du numérique et des moyens généraux au sein du Conseil départemental de Mayotte.

Conseil départemental de Mayotte

En tant que directrice du numérique et des systèmes d'information pour le Conseil Départemental de Mayotte, quelles sont vos principales missions ?

J’ai rejoint le Conseil départemental de Mayotte un an après la décentralisation de 2004 en tant que Directrice des Systèmes d'Information (DSI). Depuis 2011, j'occupe le poste de Directrice du Numérique et des Services d'Information au sein de la DNSIMG de Mayotte.

En 2011, l’Ile de Mayotte a été érigée au statut de 101ème département de France, puis de région ultra périphérique en 2013. Ce territoire a connu en 10 ans des mutations statutaires, donc sociétales que beaucoup de départements ont mis plus de 50 ans à absorber.

Et le métier de DSI n’est pas en reste. Mes missions ont beaucoup évolué dans le temps avec des responsabilités élargies allant des Systèmes d’Information au développement du numérique. Un métier exercé dans un contexte technologique complexe et rudimentaire : Mayotte n’a pu développer l’ADSL qu’à partir de 2012, année de raccordement à son 1er câble fibre optique sous -marin.

En tête d’une direction multidisciplinaires de 450 agents, mes missions couvrent aujourd’hui aussi bien les SI, le numérique que les moyens généraux.

Plus qu’un manager, j’aligne avec agilité des missions stratégiques avec les orientations politiques du Département. J’œuvre pour la transformation numérique de notre administration et le développement du numérique à l’échelle du territoire.

Dans les nouvelles technologies, nous avons 10 ans de retard et mon défi est de les rattraper en rendant notre administration plus moderne et notre territoire plus connecté….

Quelles problématiques de connectivité rencontrez-vous sur le territoire mahorais ?

Le territoire de Mayotte se situe dans la partie Ouest de l’Océan Indien entre le continent africain et Madagascar, à l’entrée nord du canal du Mozambique. D’une superficie de près de 375 m², Mayotte comprend deux îles principales, Petite-Terre et Grande-Terre.

L’enjeu de son désenclavement est intrinsèquement lié à une bonne connectivité sous-marine fibre optique avec des tarifs accessibles et à un réseau de collecte très haut débit jusqu’aux abonnés.

L’arrivée du câble Lion2 en 2012 a été un grand PAS pour le développement du numérique du fait qu’il ait permis l’accès à l’ADSL et l’expansion du réseau mobile notamment la 3G et la 4G.

Pour autant, le développement des offres professionnelles et l’accélération des offres grand public très haut débit restent encore timides. La technologie wifi fortement présente dans le secteur Sud peine à se développer. Aujourd’hui seuls 29% des foyers bénéficient de l’internet fixe. La 4G fixe est à son niveau de balbutiement !

Nous avons un fort déséquilibre de la boucle locale entre le Nord et le SUD : l’infrastructure optique de l’opérateur historique est principalement marquée sur le Nord de l’île et la desserte du Sud est assurée par les réseaux hertziens et wifi.

La même problématique se pose également entre la petite-terre et la grande terre qui souffrent d’un déficit d’infrastructure performante assurant la continuité numérique pourtant indispensable au regard du trafic de données grandissant entre ces deux Iles.

Pouvez-vous nous rappeler par quelles infrastructures est assurée la connectivité aujourd'hui à Mayotte ?

La connexion de Mayotte au haut débit est assurée depuis 2012 par le câble fibre optique sous-marin LION 2 (Lower Indian Ocean Network), long de 2 700 km, reliant Maurice à Mombassa (Kenya) en passant par Mayotte et Madagascar.

En 2019, un nouveau câble en fibre optique FLY-LION 3, extension du câble LION2 a relié Moroni (Grande Comores) et Mamoudzou (Mayotte) pour renforcer la connectivité dans l’Océan Indien. Celui-ci s’interconnecte avec les câbles LION 2 et EASSy (Eastern Afica Submarin System). Le câble est essentiellement utilisé pour la sécurisation du trafic.

Mayotte est également reliée à l’archipel des Comores par le câble Avassa depuis fin 2016, financé en partie par STOI et utilisé essentiellement pour les échanges mobiles.

Les quatre opérateurs Orange, SRR (Groupe SFR), Maoré Mobile et Telco OI (sous la marque Only) disposent de l’autorisation d’utilisation de fréquence pour la 4G. On estime aujourd’hui un taux moyen de couverture de surface de 76% tout opérateur confondu pour un taux de pénétration à 103%. Actuellement, seul SFR propose une offre 4G fixe dans le cadre du Guichet «Cohésion Numérique du Territoire».

Malgré la forte présence des opérateurs mobiles et les initiatives prises sur les câbles sous-marins, fort est de constater que le rebond espéré depuis 2012 n’est pas au rendez-vous. En effet, sur les 15000 lignes existantes aujourd’hui seulement 33% sont proposés avec des services VDSL. L’offre CELAN se limite à la commune chef-lieu et l’offre wifi ne décolle pas.

Quels sont les projets en cours de déploiement sur le territoire pour améliorer la couverture de Mayotte ?

Nous arrivons au terme du marché CREM notifié en 2017 pour 5 ans avec l’objectif de renforcer en priorité la boucle locale à travers un RIP fibre optique. Les ouvrages départementaux concernent le déploiement :
• d’un réseau de collecte de 30 km opticalisant 5 NRA du Sud de l’île pour un équilibre numérique Nord/Sud.
• de 21 km de liaisons optiques raccordant 7 sous-répartiteurs éligibles à un programme de montée en débits ADSL avec une possibilité de services VDSL2 et de services intégrant le triple play. Ceci touche environ 2300 foyers.
• Et enfin, le raccordement d’une cinquantaine de sites prioritaires en fibre optique, notamment dans le domaine de la santé, de l’enseignement, des collectivités locales et des zones économiques. Actuellement 11 sites sont déjà raccordés.

Nous projetons de commercialiser le réseau au plus tard le 1er trimestre 2021.
Désormais, la priorité est sur le très haut débit jusqu’à l’abonné. Nous concentrons nos efforts sur le déploiement du FTTH, considérant l’extinction du cuivre et les ambitions du Plan France THD, comme des véritables opportunités pour le déploiement du FTTH.

Par ailleurs, nous restons ouverts au Mix technologique, qui correspondrait bien au contexte mahorais au regard de la jeunesse de la population (65% à moins de 25 ans) mais également à l’urbanisme, un handicap pour un FTTH à 100% de la population.

Pour ce faire, nous nous orientons vers une opticalisation des points hauts afin de garantir là où c’est nécessaire, des solutions très haut débit par le réseau mobile.

Comment décririez-vous l'accompagnement des équipes Tactis sur vos projets ?

Au-delà de ses enjeux majeurs, le désenclavement numérique de Mayotte est d’abord une question de continuité territoriale. A 10.000 kilomètres de la métropole, ce petit département d’outre-mer est loin de tout et son raccordement au reste du monde par un câble fibre optique sous-marin était juste inéluctable.
Tactis a eu cette faculté de comprendre les spécificités de notre territoire lorsqu’il a été missionné sur la réalisation d’un état des lieux sur le numérique à Mayotte.

J’ai été particulièrement marquée par son audace lorsqu’il nous a recommandé l’Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) sur le raccordement de Mayotte à un câble fibre optique sous- marin. Cette action a été un véritable catalyseur pour l’arrivée de LION2.

Cet AMO a su s’impliquer pleinement pour le développement du numérique à Mayotte et dans une démarche de co-construction, nous avons établi un véritable partenariat sur l’élaboration et la réussite du projet Mayotte numérique.

Faouzat Mli

Faouzat M'Li

Directrice des systèmes d’information, du numérique et des moyens généraux au sein du Conseil départemental de Mayotte
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